PAYS : Mexique
ANNEE : 1994
VILLE : Mexico
TITRE : El Gringo de la Cantina
Arrivés à Mexico depuis quelques jours, mes collègues et moi avons déjà visité dans la région nombre d’endroits aussi historiques que stupéfiants, comme par exemple « Teotihuacan », pour ne citer que l’un d’entre-eux.
Cet après-midi nous n’avons rien prévu, je décide alors d’aller faire un petit tour dans le quartier.
L’équivalent en Pesos d’une cinquantaine de Francs en poche, je me dis que ce sera bien suffisant pour prendre un café par exemple, me voilà parti…
Après avoir cheminé un bon quart d’heure, une enseigne attire mon attention « Cantina », l’entrée de l’établissement est à l’intérieur d’une courette ceinte de bancs en pierre ou s’affairent quelques femmes qui s’adonnent au crochet.
Je note que leurs ouvrages en cours sont aussi beaux que colorés.
Et… pourquoi pas ?
Je poursuis mon chemin, puis réflexion faite reviens sur mes pas, et me décide à explorer cette « Cantina » qui m’intrigue…
Je n’étais jamais entré dans une cantina, et je n’imaginais pas un instant ce qui m’attendais…
À peine franchi la porte, je me retrouve tout à coup dans un lieu aussi sombre que lugubre.
Face à moi un long bar en « L », la plus courte partie face à moi est libre, sur la longueur 4 ou 5 clients à la mine pour le moins patibulaire posent ensemble leur verre sur le comptoir avant de me dévisager sans mot dire…
Le barman… alors lui me fait immédiatement penser à celui du bar glauque du début du film « Desperado » (voir image titre qui ne peut être plus ressemblante).
Bonjour l’ambiance !
Arborant un timide sourire, je m’accoude au bar, pas vraiment rassuré je l’avoue…
Une minute passe, puis deux… rien ne se passe, si ce n’est un grand moment de solitude, que faire ? Repartir, attendre ? Là est la question à ce stade.
Naturellement personne ne me renvoie mon « Buenas tardes » initial…
Mais les clients finissent par reprendre leurs verres contenant un liquide brun, tout en poursuivant leur conversation à voix basse.
Ça y est, le barman finit par s’approcher et d’un mouvement sec du menton semble me demander ce que je veux.
Je lui réponds « Un Coca-Cola »
Le gars l’air stupéfié approche son visage la main entourant son oreille et me demande de répéter…
« Un Coca-Cola por favor »
Un silence envahit alors le bar…
Le gars se retourne et annonce tout fort à ses clients/complices, « Hey les gars le gringo* veut un Coca-Cola !!! »
Je suis persuadé que l’éclat de rire général qui s’en est suivi a dû s’entendre jusqu’à Cancun !
Encore un moment de solitude… je ne comprend pas ce qu’il se passe, si ce n’est qu’il cherche certainement à me pousser à bout !
Mais… il y a un mot que j’ai particulièrement retenu, c’est « Gringo », là je prends sur moi et regardant le barman droit dans les yeux, je lui explique dans mon espagnol pour le moins approximatif…
« Yo no soy gringo chico ! »
Interloqué, ce dernier se retourne vers l’assemblée pour lancer « Le gars m’appelle chico !!! » déclenchant à nouveau l’hilarité générale !
Pour la petite histoire, notez bien que cela fait déjà un moment que je suis là, et que je n’ai toujours pas mon Coca…
A ce stade, j’attends et eux… ils rigolent !
Le barman revient à la charge, et me dis « Si tu n’es pas un gringo, tu viens d’où ? »
« Je suis français ! »
Là un véritable silence de plomb s’abat sur l’établissement, je me dis que j’aurais dû passer mon chemin tout à l’heure, mais trop tard…
A ma grande surprise, les compères s’approchent de moi avec un grand sourire (exercice qu’ils n’ont pas dû pratiquer depuis longtemps) avant de me lancer en cœur « Bienvenido amigo francés ! »
Là j’en perd mon espagnol, que se passe-t-il, est-ce le dernier chapitre avant l’estocade ???
Bien au contraire, c’est à celui qui tente de m’expliquer le mieux la raison de leur subite « affection ».
En fait quelques années auparavant en 1985, Mexico a subi un terrible tremblement de terre qui a fait de nombreuses victimes sans parler des énormes dégâts qu’il a occasionnés.
Or la France a envoyé immédiatement une grande quantité de ressources humaines et matérielles pour aider le pays, et ça si je l’avais oublié, pas eux !
C’est la raison pour laquelle les mexicains apprécient tout particulièrement les français, et c’est un euphémisme…
Du coup « Merci » au tremblement de terre
Le barman profite de l’un des rares temps morts pour me glisser que dans les Cantina, il existe deux règles de base, pas de femmes… et on ne sert que de l’alcool !
Je comprends mieux « l’affaire » du Coca-Cola…
S’ensuit un moment pour le moins insolite, me voilà dans une cantina mexicaine, entouré de gars dont le seul souci est de me faire goûter tel ou tel breuvage « révolutionnaire », et dont le degré d’alcool n’a pas à rougir comparé à certains rhums antillais.
Arrivé à un certain « stade de maturation », je demande combien je dois, je pense que si je les avais vertement insultés, ils n’auraient pas eu regard plus noir !
« Amigo, on t’a dit tout à l’heure bienvenue, tu es notre invité, n’insiste surtout pas ! »
Force est de constater que je ne suis pas tombé dans un « piège à touristes », loin de là ! L’ambiance de l’endroit me fait penser que le dernier touriste qui est entré ici, à condition qu’il y en ait déjà eu, doit être à minima à la retraite.
Sauvons l’honneur !
Je me dois de « sauver l’honneur », j’offre la dernière, je leur explique que chez nous il ne peut en être autrement, ils finissent par accepter bon gré mal gré…
Vous imaginez la fin de l’histoire, après de multiples accolades avec mes nouveaux amigos, je repars de là il fait déjà nuit, je n’ai plus soif du tout, et je me rends compte que je ne sais plus où se trouve l’hôtel !
Heureusement pour moi Mexico grouille littéralement de taxis, je hèle l’un d’entre-eux, par chance je me souviens (à peine) du nom de l’hôtel, et quelques minutes plus tard me voici arrivé à bon port.
Traversant le hall de l’hôtel, j’aperçois quelques-uns de mes collègues attablés au bar, ils ne savent pas ce qu’ils ont raté !!!
Je leur annonce que je monte dans ma chambre et que je ne dîne pas avec eux, il doit être 20h, ils ne comprennent pas, ils m’ont vu partir d’un pas alerte en début d’après-midi, et ils me voient revenir a deux doigts du coma éthylique.
C’est lors du petit déjeuner que je leur raconte mon aventure de la veille, là encore quelques éclats de rire fusent, un peu trop à mon goût tenant compte de l’incompréhensible mal de tête qui me tarode.
Et si on y retournait ?
L’un d’entre-eux lance « Et si on y allait tous ensemble ? »
Bien que la proposition semble des plus séduisantes, je lui réponds qu’il m’est impossible de retenter l’expérience avant un an ou deux !
« Allez-y si vous voulez, mais si cela ne vous dérange pas, je vais pour ma part me contenter de repos et d’eau minérale… »
Finalement, ils n’iront pas, d’autant que j’aurais été bien en peine de leur expliquer le chemin…
Moralité : Les endroits les plus glauques ne sont pas forcément les plus dangereux.
*Américain (Etats-Unis)
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